Pour ce billet original, je laisserai Vincent s'exprimer puisqu'il a souhaité me faire part de ses écrits retraçant un séjour de pêche passé ensemble sur le Guiers. Vincent est un pêcheur à la mouche passionné qui a forgé son expérience en grande partie à l'étranger, d'abord en exotique et plus régulièrement au bord de célèbres et grandes rivières Argentines où vit sa fille aujourd'hui. Quand il ne dérive pas dans les eaux patagoniennes, Vincent parfait son lancer dans les réservoirs de pêche du pourtour parisien. Plus occasionnellement, et depuis trois ans, il profite de mes séjours guidés dans les départements de l'Ain et de l'Isère pour aborder la pêche exigeante de nos bassins calcaires à travers Bugey et massif de la Chartreuse. Cette année, malgré une première tentative annulée à cause d'épidémie, nous avions organisé sa venue d'après confinement pour découvrir les rivières de mon enfance et ce fut une belle expérience, je vous laisse ici découvrir par ses mots nos deux journées de pêche à la mouche sèche en Chartreuse.
France, Grande Chartreuse
Vincent C. Message du 14 septembre 2020
Le Guiers : plus mort que vif
J’avais projeté avant le confinement une sortie avec Fabien Caterina, guide de pêche à la mouche créateur d’Immersion Pêche. Ayant déjà passé des journées avec lui sur les rives de l’Albarine (fameuse rivière du Bugey, dans l’Ain) j’avais apprécié sa simplicité, ses compétences et ses qualités pédagogiques.
Fabien m’avait déjà parlé de son fief en Grande Chartreuse, avec ses rivières favorites le Guiers mort et le Guiers vif. La sortie initialement prévue pour fin Mai fut reportée au plein coeur de l’été pour cause de « limitation à 100KMs ».. ! Evidemment la saison est très différente d’autant plus en période de canicule (pic à 35 degrés..) seul créneau possible, autant dire que je partais avec un espoir limité concernant l’activité des poissons, accablés de chaleur en cette période d’étiage…
Enfin, c’était ma découverte de la Grande Chartreuse et des gorges du Guiers ce qui valait bien ces 2 jours au cœur de l’été. D’autant que le Guiers Mort est labellisé « site rivières sauvages » depuis 2019. J’appris que le nom des 2 Guiers venait de leur débit plus (vif) ou moins (mort) soutenu dans le passé et d’une origine celte. Avant de traverser les gorges le Guiers Mort n’est qu’un torrent de montagne né d’une résurgence karstique. Une fois les 2 Guiers réunis cet affluent du Rhône est formé.
Elle traverse plusieurs villages typiques, dont Saint Laurent du Pont, lieu de rendez-vous fixé au domicile de Fabien. Après un rapide petit-déjeuner le temps de faire connaissance de son épouse Emmeline et leur fils Elias nous voilà en route pour le Guiers Vif. Autant le dire ce fut une journée touristique loin de nos attentes. IL faut dire qu’outre les conditions météorologiques défavorables nous avons joué de malchance. Entre un spot inaccessible pour cause de résidence privée occupée, un autre envahit de baigneurs en quête de fraîcheur et un superbe lisse ruiné par un malotru en 4x4 s’amusant à traverser la rivière juste en amont de nous, les meilleurs sites n’ont même pas fait l’objet du moindre lancer…Frustrés après des essais infructueux en sèche et en nymphes, je me contente des conseils techniques de Fabien, toujours utiles, et de photos des splendides sites (notamment un incroyable pont gallo-romain). Nous jurons de faire mieux (pas difficile!) le lendemain, avec une priorité au Guiers Mort.
En fait, comme notre passion nous le réserve parfois, ce jour allait s’avérer être une journée relativement exceptionnelle de l’avis de Fabien, qui sillonne les berges de « sa » rivière depuis toujours…Au point qu’il me demandera plusieurs fois ce que j’avais entreprit pour avoir un karma au top ce jour-là.
A peine arrivés au premier parking longeant la rivière, Fabien voit deux jolies truites en activité. Malgré une approche discrète et des lancers corrects pour un début de journée, je dépique une belle en chandelle et nous loupons les 2 mais le moral est en hausse. Ce parcours en gestion patrimoniale depuis 15 ans qui ne fait plus l’objet d’alevinage depuis toutes ces années possède une population reconnue de fario sauvages. Rapidement nous observons que non seulement les poissons sont actifs, mais aussi que les « grosses »sont de sortie... Grace à l’œil de rapace de Fabien et sa connaissance unique de chaque courant du Guiers Mort, la première belle fario (35 cm) est repérée, s’alimentant par des sorties régulières de sous un imposant rocher surplombant le courant. Superbe ballet nutritif au menu duquel je place en revers un sèdge clair bientôt happé goulument. S’ensuit un bref combat dans le courant et voilà une première et belle zébrée dans l’épuisette…Heureux nous contemplons cette beauté intacte vite rendue à son milieu.
Et la journée mémorable est lancée car quasi systématiquement aux postes connus de Fabien se tenait la truite dominante du lieu et de taille croissance, 35, 40, 45 cm ce qui constitue des tailles surprenantes pour ce parcours. Fabien n’en revient pas ! Pour autant chacune requière une approche furtive, une sélection minutieuse de la mouche et un lancer au poser délicat. Pour ce qui est de l’approche et du montage essentiellement dus à Fabien c’est un régal et l’excitation de la préparation du lancer un plaisir unique.
Bénéficiant des conseils prodigués la veille (pas une journée pour rien finalement !) mes lancers font mouche (ah, ah !) quasi systématiquement. Chaque grosse fario est piquée mais l’issue des combats est incertaine. Une décrochée lors d’un formidable saut, une casse sur une proie qui a eu le temps de se caler dans une anfractuosité au fond de la rivière.. et voilà deux beaux spécimens perdus mais compensés par 3 autres truites calibrées à 35-40 cm (on ne mentionnera pas les plus petites prises, quel luxe) capturées selon le même cérémonial : vue, approche, montage adapté, geste répété, lancer, ferrage, combat, épuisette. La pêche avec un excellent guide quoi !
Fort de ces succès et de la taille croissante des prises vite relâchées, j’en rajoute auprès de Fabien et parie que ce crescendo aura son apothéose plus tard…Encore de belles émotions et nous voici à un passage de rivière qui bien qu’apparemment très propice n’a jamais réussi à Fabien en 7 ans de guidage…Je fanfaronne en lui annonçant que ce jour est le dernier de la disette. Quelques bons lancers dans chaque veine de courant : rien. Une prospection systématique de la bordure gauche : rien. Un changement de mouche sans effet. La scoumoune de Fabien à cet endroit serait-elle vraie ?
Soudain Fabien se fige tel un spaniel flairant une bécasse dans les ronces (je ne suis pas chasseur alors je me documente!). Il bloque mon bras et d’un air mi- stupéfait, mi- rieur me murmure avoir vu un « monstre » nous faisant face sur la rive droite…Effectivement impossible de ne pas voir cette masse sombre et oblongue osciller doucement dans un calme, alimenté par un remous tout près de la berge. Incroyable vision à plus d’un titre: la taille énorme pour le Guiers, au moins 55-60 cm ; la posture face à l’aval ; le spot hors du courant dans 30 cm d’eau, apparemment loin d’une quelconque cache.
Tenue immédiate d’un « conseil stratégique » débouchant sur le renforcement du bas de ligne qui passe en 16,5/100, le changement de mouche pour un gros sèdge roux et l’analyse du lancer souhaité à 15 mètres environs pour idéalement poser en amont du lent remous. Un dernier coup d’œil avant de lancer, mais la proie semble évanouie. Le sous-marin nucléaire s’est volatilisé, le calme et son remous sont vides de poisson et la lumière rasante de fin d’après-midi ne permet plus de voir le long de la bordure. La « bête » nous a-t-elle repérés ? Nous n’y croyons pas.
Après une inspiration profonde je fais un premier lancer, trop à gauche et voilà le sèdge emporté par la veine de courant. Deuxième lancer cette fois le sèdge est en amont et semble immobilisé, puis imperceptiblement démarre et approche du remous, accélère à peine et disparait brusquement dans une grande gueule de becquart venue de nulle part …ferrage violent.
Trop violent qui se traduit par la casse du bas de ligne… ! À ma consternation s’ajoute l’effondrement de Fabien émettant un « Vincent ! Vincent ! Vincent ! » rageur entre ses dents serrées…Excès de tension nerveuse? Fatigue de fin de journée ? Inexpérience ? Plusieurs raisons sans doute à mon mauvais geste qui terni sur le moment une fin d’une journée remarquable privée de l’apothéose annoncée.
Après un retour silencieux à la voiture, puis à St Laurent, je propose à Fabien de prendre une bière pour clore la sortie. S’ensuivent des échanges et des réflexions quasi philosophiques, et nous admettons que cet fin brusque et décevante préserve la part de mystère de l’occupant du spot et nourrit l’envie d’y retourner pour tenter à nouveau sa chance…Ce sera pour Fabien avec un autre pêcheur car pour moi c’est l’heure de rentrer à Aix-les Bains.
Cette belle expérience de pêche, riche en émotions, aura démontré une fois de plus que notre pays compte des lieux superbes et productifs de pêche à la mouche. Ces rivières compensent bien des destinations exotiques devenus momentanément (espérons-le) inaccessibles. Cette période si particulière est l’occasion unique de les découvrir ou redécouvrir.
La magie de la pêche aura opéré tout au long de ces 2 journées en Chartreuse passés en compagnie de l’excellent Fabien Caterina que je vous recommande vivement. D’ailleurs j’ai déjà un projet avec lui au printemps 2021, cette fois dans une autre rivière sauvage incontournable de l’Ain. Avis aux amateurs...
Plus d'infos, contacts et réservations
Fabien Caterina, guide de pêche professionnel
0670681881
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